Wednesday, March 15, 2017

La Condition humaine (1933) : Le Shanghai des années 20 vu par un écrivain français engagé, André Malraux



BIOGRAPHIE : QUI EST ANDRÉ MALRAUX ?

Né le 3 novembre 1901 à Paris, dans une famille modeste, il abandonne tôt ses études, mais suit des cours au Musée Guimet et l'École du Louvres, publie des articles sur des artiste qu'il fréquente à l'époque. Puis, il fait deux voyages en Extrême-Orient (Cambodge en 1923, Indochine 1925 où il a entretenu des liens étroits avec la communauté chinoise de Cho lon). Sensibilisé par les injustices qu'il y voit, il écrit Les Conquérants et La Condition humaine (1933). Engagé politiquement, il milite contre le fascisme et le nazisme, participe au Congrès des écrivains soviétiques en 1934, prend part à a guerre d'Espagne. Mobilisé en 1939, prisonnier, il s'évade. En 1944, il commande la brigade Alsace-Lorraine qui se battra dans les Vosges, en Alsace et jusqu'à Stuttgart (1945). Ministre de l'Information du général De Gaulle (novembre 1945-janvier 1946), il est délégué à la propagande du RPF (1947 à 1953). Nommé ministre d'État chargé des Affaires culturelles (1959-1969), il fait preuve d'un grand dynamisme (on lui doit notamment les maisons de la culture, et une politique de rénovation de Paris), et viendra à la rencontre du président chinois de l'époque Mao Zedong. Chantre du gaullisme, il est en tête de la manifestation de soutien à De Gaulle, le 30 mai 1968. Il meurt le 22 novembre 1976. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en novembre 1996.

SHANGHAI DES ANNÉES 20 : CADRE SPATIO-TEMPOREL ET ÉVÈNEMENTS MARQUANT

Le récit se déroule dans le Shanghai de la fin des années 20, plus précisément le 21 mars 1927. Le contexte est net et précis : il s'agit de la Chine de Tchang Kaï-shek (1887-1975), s'accompagnant des conflits politiques. Au départ, de nombreux écrivains et intellectuels chinois se sont engagés politiquement dans des associations afin de donner à la Chine une nouvelle forme gouvernementale solide et mettre fin au règne des Seigneurs de Guerre. Ainsi est né le Parti nationaliste Kuomintang fondé par Sun Yat-sen le 25 août 1912, qui réunissant le Peuple chinois sous tous les plans (pour une Nouvelle Chine plus moderne, socialiste et démocratique, pour la fin de l'Empire, fin des guerres civiles, réappropriation du pays par le Peuple chinois, toute classe sociale confondue). Cependant, cela ne suffit pas à restaurer la Paix dans le Pays : les seigneurs de guerre dominent la partie nord de la Chine, et ne pouvant obtenir de l'aide des Occidentaux installés en Chine (Shanghai), le Kuomintang n'a pas eu d'autres choix que d'accepter l'aide financière proposée par le Kuomintern pour renforcer leur armée. Inspiré du marxisme et du modèle soviétique, le Parti communiste chinois est né en Août 1920 et le tout premier congrès a eu lieu le 23 juillet 1921 dans la concession française de Shanghai. Le Kuomintang et le PCC se sont unis pour affronter les seigneurs de guerre jusqu'à la mort de Sun Yat-sen en 1925. Malgré l'approbation de son successeur, Wang Jingwei, de maintenir l'alliance Kuomintang/PCC, Tchang Kaï-shek s'y oppose farouchement, de sorte que la rupture entre les deux partis va s'opérer suite à l'expédition du nord.

La rupture se fait au début de l'année 1927 (d'où l'importance des dates dans le passage du roman La Condition humaine ). En mars 1927, les Communistes alimentent le soulèvement des travailleurs de Shanghai et prennent le contrôle de la ville, s'opposant aux plans de Tchang Kaï-shek de vouloir rallier les factions alliés à partir du nord de la Chine. Comme l'armée du Kuomintang n'arrive que trop tard à Shanghai, prise d'assaut par les ouvriers et les communistes, Tchang Kaï-shek décide de mettre en place une rupture radicale avec le PCC en faisant éliminer leur anciens alliés de gauche et transférant lae siège du Kuomintang à Nankin. Le chef du parti Wang Jingwei, ne pouvant tenir tête à l'imposant Tchang Kaï-shek, se résout à dissoudre l'alliance avec les Communistes.
Le roman La Condition humaine mentionne le début de la rupture entre le Kuomintang et le Parti communiste.

La ville de Shanghai est décrite d'une telle façon que l'on dirait que l'on tourne des scènes de cinéma. Tout d'abord, nous avons une idée bien précise des lieux de Shanghai (l'avenue des Deux-Républiques, Han-Kéou, Port de Shanghai, les concessions françaises), l'histoire se déroule dans la plupart des cas au centre-ville.

Une idée bien précise du lieux

Plan de Shanghai en 1929 (le quartier de Pudong à l'Est de la rivière Huangpu, à l'Ouest  les Concessions française et internationale, centre-ville)


PERSONNAGES : PORTRAIT D'UN SHANGHAI MÉTISSE ET COSMOPOLITE

Shanghai ville cosmopolite : importation du jazz dans les bars  tels que Black Cat dans le roman


Le roman révèle a ville de Shanghai comme une ville cosmopolite où grouille un grand nombre de personnages tous singuliers en fonction de leur position politique, de leur origine ethnique, leur passé tumultueux. En effet, les héros de ce roman ne sont pas chinois et dessine un portrait d'un Shanghai de la nuit, métisse et tourmenté politiquement.

Tous les personnages présentent une histoire particulière ainsi que des traits de personnalité symboliques, reflétant les idéologiques nationalistes, communistes et/ou cosmopolites du Shanghai des années 20:

-Gispors est le père de Kyo, un intellectuel communiste, universitaire marxiste, éminence grise derrière le soulèvement et intoxiqué à l'opium; il est la figure du sage, tous viennent se confier à lui.
-Kyo Gisors, fils du précédent, dirige l'insurrection communiste de Shanghai. Idéaliste, il luttera jusqu'à la mort pour la « dignité » des travailleurs. Il aime May.
-May épouse allemande de Kyo, médecin, représente la vie dans ce contexte de mort et donne au combat révolutionnaire sa dimension féminine.
-Tchen est un disciple du Professeur Gisors, engagé dans la lutte armée, lutte qui deviendra par la suite sa seule raison de vivre. Il fait de son engagement une sombre mystique suicidaire.
-Katow,généreux et courageux, est un ancien militant de la révolution russe de 1917. Rescapé de la répression des Russes blancs, son idéalisme l'a poussé à rejoindre la révolution communiste chinoise. C'est le personnage le plus humain du roman.
-Le Baron de Clappique, ancien antiquaire et marchand d'art français, reconverti dans le trafic d'armes. C'est un personnage mythomane et joueur, théâtral et drôle, inquiétant aussi ; une création originale.
-Ferral représente le pouvoir de l'argent, n'a qu'une passion : dominer autrui. C'est un ambitieux industriel français, président de la Chambre de Commerce française.
-Valérie, l'amante de Ferral, représente la femme moderne dans le sens où elle dispose de ses propres initiatives. Et ne se soumet pas au bon-vouloir de l'homme. L'émergence du féminisme ?
-Hemmelrich, représente l'humilié, c'est un ouvrier originaire de Belgique, éternel prolétaire perdant. Il s'engage dans l'action après avoir vu sa famille massacrée.

LA CONDITION HUMAINE : DUALITÉ PERMANENTE ET COMBATS IDÉOLOGIQUES

Tchang Kaï-shek (à droite), massacre des grévistes et partisans communistes en avril 1927 (haut), Sun Yat-sen (bas)

Dans la Condition humaine, on retrouve une dualité thématique constante. Sur chaque passage évoqué, les personnages luttent contre des idées et n'hésitent pas à marquer fermement leur position. Ainsi, Tchen, Kyo, Katow et Clappique se retrouve dans un guerre civile indirecte où s'affrontent les Communistes et Nationalisme (évoquée aussi dans le roman comme la confrontation entre les « bleu » et les « rouge » vs nationalisme. Outre ce contraste significatif, on retrouve aussi des oppositions thématiques tels que le contraste entre l'Amour et la Liberté individuelle, une opposition pas si anodine si on cite les amours contrariés de Kyo et de May : ne supportant pas la révélation de May sur sa courte infidélité amoureuse, Kyo décide de privilégier sa liberté de choix : celle de partir en combattant dans la lutte contre l'armée de Tchang Kaï-shek, et ce malgré les injonctions de May qui veut tout faire pour récupérer son amant. Ici le sens du devoir prédomine sur les sentiments dans La Condition humaine , des personnages tels que Kyo et Tchen ne laissent peu de place aux sentiments : se battre pour ses idées semblent plus important que tout le reste, quitte à en mourir.
Par ailleurs, on prête aussi une opposition entre la Paix/lumière vs le combat/l'ombre. Dans la scène de discussion entre Maître Gisors et Tchen, le Maître déconseille à son disciple de s'en aller en guerre et souhaite que la lutte idéologiques se fasse sans violence, mais Tchen n'envisage pas une situation de Paix et estime que seule la guerre idéologique est la solution pour restaurer l'ordre dans le Pays. Par conséquent, ceux qui se sont battus se retrouvent dans le cas de Kyo en prison (l'ombre), en opposition à ceux qui n'ont pas subi l'enfermement/torture et vivent en liberté comme May, Ferral ou les Français de Shanghai(à la lumière du jour, donc lumière). Enfin, nous notons également l'opposition marquée entre les travailleurs prolétaires des Lilong et les bourgeois nationalistes chinois et étrangers des concessions.
La Condition humaine traite des inégalités sociales, de l'injustice et des situations trouble et conflictuelle qui règnent à Shanghai.


CONCLUSION

-Roman engagé politiquement (Communisme, socialisme, nationalisme)

-Shanghai vu par un ancien expatrié français : ses rues, ses inégalités sociales, concessions française et internationale, relations commerciales sino-étrangères, mixité ethnique et sociale, Shanghai le « Paris de l'Orient »

-Début des guerres idéologiques communisme vs nationalisme à tendance bourgeoise

-Shanghai des années 20 et 30 : en plein boom et crack économique, chamboulement politique, la peur de l'avenir (sitôt arrivé la future guerre sino-japonaise)

-Shanghai, pas seulement un exotisme orientaliste mais aussi la ville telle qu'on la voit socialement et économiquement (ouvriers chinois, artisans des petites rues des Lilong, des riches bourgeois chinois faisant commerce avec les étrangers des concessions, des paysans venant de l'exode rurale et vivant dans les bidonvilles)



Pour approfondir:


-http://chine.in/guide/entretien-andre-malraux-avec-mao-zedong_4497.html

-https://www.etudes-litteraires.com/malraux-condition-humaine.php

-https://fr.internationalism.org/rinte96/chine.htm

-http://malraux.org/wp-content/uploads/2009/07/images_documents_5_2larrat.pdf

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