Thursday, February 9, 2017

《神女》The Goddess (1934): un drame hollywoodien aux couleurs de Shanghai




Ce film dramatique raconte la vie d'une jeune femme, obligée de vendre son corps pour subvenir au besoin de son fils, sa seule raison de vivre. Malheureusement prise au piège par un joueur de poker, entrant comme bon il lui semble chez elle et volant à sa guise son argent, elle tente tant bien que mal de sauver ses économies et permettre à son fils de continuer l'école. Mais les commérages vont vite dans le quartier, la mauvaise réputation de prostituée arrivant jusqu'à l'école de son fils. Le principal n'a pas d'autres choix que de retirer le droit de son enfant de poursuivre l'école en raison de l'éthique et de la morale bien pensante des professeurs de l'établissement. Par la suite, il s'ensuit de malheureuses péripéties, de l'argent volé par le joueur de poker jusqu'au meurtre accidentel de celui-ci par l'héroïne du scénario. Condamnée à une peine de 12 ans d'emprisonnement, elle perd la garde de son enfant. Cependant, aussi inattendu soit-il, le principal de l'école vient lui rendre visite et lui annonce qu'il s'occupera de son fils, lui réservant un avenir meilleur que celui-ci qu'il avait avec sa mère. Cette dernière en est entièrement reconnaissante, lui demandant de ne plus faire parler d'elle à son fils afin qu'il puisse mener une vie prospère et insouciante. Pour l'amour d'une mère, seul le bonheur de son fils compte plus que sa propre vie. Et le film se termine par la joie de l'héroïne d'imaginer son enfant mener une vie plus gratifiante loin de toutes les médisances.


Il s'agit du tout premier film réalisé par Wu Yonggang, obtenant un vif succès. Quand à l'actrice principale, elle est reconnue comme étant une excellente actrice de fils muets.
Ce film est sorti à l'époque, où Shanghai connaît son âge d'or du cinéma. Inspiré des films étrangers, il est non seulement un des chefs d'oeuvre les plus remarqués dans l'Histoire du cinéma chinois, mais il est aussi une représentation des préoccupations de la vie quotidienne du Shanghai des années, où tout semble bouleversé sur le plan politique (guerre sino-japonaise, montée du nationalisme), économique (crise des années 30)et socio-culturel (nouvelle vie du petit peuple, les nuits shangaiennes, changements urbains).

Nous pouvons dégager trois thèmes essentiels à l'étude de ce film:

1) Condition féminine et l'image de la femme chinoise dans les années 30 : la femme moderne vs la femme traditionnelle.

2) 《神女》The Goddess comme reflet de Shanghai: une ville en pleine mutation, où la population ont le souci d'avoir une vie meilleure et obtenir l'ascension sociale.

3) 《神女》The Goddess: un film politique?



(1)Alors que la publicité, les films hollywoodiens et la littérature moderne semblent vouloir mettre en avant la femme chinoise des années 30 comme étant la femme moderne, le film nous dépeind une réalité qui est toute autre.

La femme moderne dans l'imaginaire shangaien? Une chinoise coiffée à la garçonne, talons hauts, moulée dans un qipao 旗袍 et fumant la cigarette comme les hommes. La femme qui étudie en est aussi une caractéristique, mais elle n'est à l'époque accessible qu'à une classe aisée.

Dans le film, l'héroïne est décrite comme étant par excellence la femme moderne : jeune, belle, habillée à la mode indépendante,  tous ces critères semblent la mettre sur un pied d'estale.

Mais la réalité en est toute autre. Vivant dans des conditions très modestes, elle exerce un métier très dévalorisant : sa dignité de femme est menacée, stigmatisée par toutes les femmes qui la dévisagent et la mettent à l'écart. En plus, elle est veuve, elle reste marginale parmi les Shanghaienne de l'époque.

Tout porte à croire que la femme traditionnelle, mariée, dépendante financièrement, vertueuse,fidèle à mari reste une image profondément enracinée dans les classes les moins aisées de Shanghai.

(2) Le film nous représente Shanghai, ville à la fois rayonnante et inquiétante par son évolution urbaine et économique.

Au petit matin, on peut voir sur les premières images du film le soleil qui se lève autour de la fumée des usines et les construction de bâtiments digne d'une Shanghai moderne: une ville très active dès le matin.

C'est aussi une ville qui ne dort jamais. Dans le film, nous pouvons voir comment sont représentées les nuits shangaiennes : des nuits animées et interminables où les gens viennent sortir et s'amuser. Les loisirs les plus fréquents : le cinéma, les jeux d'argents et les femmes (ici, la prostition, aux antipodes des ex-maisons closes sous la Chine impériale).

Ce qui m'a le plus particulièrement frappée, c'est ces courtes scènes où l'on film le temps qui passe vite, très vite: la scène où l'héroïne veut rester près de son enfant, on filme en très gros plan les horloges. La présence récurrente des horloges et des aiguilles qui avancent soulignent l'anxiété de la jeune femme de voir le temps avancer dangereusement, car il sera l'heure. de sortir travailler.

Cette angoisse du temps est aussi une façon de représenter une ville dynamique et capitaliste qu'est Shanghai (Cf. BERGERE Histoire de Shanghai, chap 10)

(3)Ce film nous dépeind une certaine vision de la réalité sociale à Shanghai. Non, Shanghai ce n'est pas seulement les nuits festives, où vit essentiellement la bourgeoisie chinoise et/où étrangère insouciante des préoccupations financières et plus en avance sur son temps par rapports aux vieux Mandarins du Vieux Pékin.

Dans ce film, les personnages principaux et secondaires sont des gens du Petit Peuple 小市民, largement majoritaire à la haute bourgeoisie. Ces Xiao Shimin exercent un métier plus ou moins modeste (professeur des écoles, serveur de restaurant, tireur de pousse pousse ou concierge)et surtout, peinent à vouloir grimper en haut de l'échelle. La vie à Shanghai n'est finalement pas aussi facile qu'on veut bien le croire, et souvent on peut très mal tourné (crimes, jeux d'argent, problèmes d'alcool et surtout prostitution). C'est un film qui se veut réaliste et proche du peuple, avec peut-être une volonté politique d'être socialiste.

Questions:

Quel type de spectateur est visé ?

Peut-on parler d'un film politique en plus d'être réaliste?


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