Tuesday, February 7, 2017

Le Shanghai des années 20 et 30 : l'ère du Haipai

Suite à la chute de l'Empire des Qing ainsi que de l'échec de la Première République de Chine, la capitale Beijing perd sa légitimité en tant que grande  ville d'influence. Fini le 京派 Jingpai "style de Beijing", place au 海派 Haipai "Style de Shanghai".

Dans la rue Nankin (Shanghai des années 20)


Qu'est-ce que le Haipai?

Le Haipai 海派 ou "style de Shanghai" désigne un mouvement émergent à Shanghai au début des années 20, favorisant l'expression de la culture commerciale et cosmopolite de la Chine moderne. 
Alors que le Jingpai 京派 mettait en avant la culture des lettrés-mandarins détenteurs du pouvoir, le Haipai 海派 se montre plus accessible à quiconque souhaite atteindre l'ascension sociale par le commerce et l'entrepreunariat .
C'est le Haipai qui permet à Shanghai de devenir une ville chinoise moderne, préférant les modèles étrangers à ceux de la Chine traditionnelle et confucéenne.

Ce mouvement s'applique aussi bien aux pratiques de la vie quotidienne qu'aux formes d'expression littéraire ou artistiques. Il n'est pas qu'une simple imitation du mode de vie à l'occidentale : l'adoption des modèles étrangers s'accompagne aussi de leur adaptation. Peu à peu, la culture Haipai s'enracine dans la vie quotidienne de la population urbaine et va faire de celle-ci la Shanghai moderne des années 20-30 riche de ses brassages culturels Chine/Occident.

Le mouvement Haipai se décline en plusieurs éléments : 

1) L'évolution architecturale de la ville:


Plan de Shanghai en 1929


Les transformations de l'urbanisme font de Shanghai une grande cité moderne comparable aux métropoles occidentales. On agrandit les concessions internationales et françaises en 1900 et 1914, et on crée une municipalité spéciale chinoise regroupant 17 arrondissements. Désormais la ville est divisée en quartiers et n'obéit plus aux critères politiques et administratifs : à l'image des villes modernes occidentales, Shanghai va voir ses pans de territoire répartis selon les diverses activités occupées.

Ainsi, dans le district central de la concession internationale, dans le Bund, on construit le quartier d'affaires. Banques, sociétés immobilières, compagnies d'assurances, et les commerces de luxes (ouverture des premiers grands magasins de Shanghai). On compte plus de 200 magasins dans la rue de Nankin, artère commerciale la plus animée de Shanghai.

L'extension des concessions encourage le transfert des résidences bourgeoises vers l'Ouest, moins densément peuplé, où l'on conçoit des villas entourées de jardins privés. C'est le cas de la concession française qui vit son nombre d'habitant doubler en l'espace de quelques décennies. Le quartier est bordé de restaurant, de cafés chics et de boutiques de mode (l'Avenue Joffre, la plus élégante de la ville).

Quand aux quartiers ouvriers, ils sont regroupés au nord et à l'est (Zhabei et Yangshupu) et à l'ouest vers Jessfield Park .

L'architecture de la ville, surtout dans le Bund, est de plus en plus occidentalisé. On peut voir des constructions de gratte-ciel.




2) Exaltation de la consommation : 

-Installation des premiers grands magasins chinois en 1917-1918 : désormais il est possible de monter dans l'ascension sociale en réussissant dans les affaires.


-Essor grandissant de la publicité (au niveau des affiches, puis à la radio début des années 30)

Pub diffusée sous forme d'introduction chantée (开篇 kaipian)

-Importation des marchandises venant de Paris, Londres ou New York. 


-La rue de Nakin est le centre privilégié pour faire les magasins, on la nomme "La Mecque du shopping"



3) Les influences étrangères : la diffusion des lumières (启蒙 qimeng):
-Importation des connaissances venant de l'Occident ou du Japn - sciences, économie, arts, techniques et philosophie- grande entreprise de vulgarisation du savoir pour les classes moyennes chinoises.

-Ouverture des maisons d'édition et essor de l'imprimerie de masse (apparition des journaux tels que le Shenbao, le Shibao et le Xiwenbao)


-De plus en pus d'étudiants chinois formés à l'étranger. De retour à Shanghai, soit certains revenant de France ou de l'URSS entament la voie révolutionnaire, soit certain mettent leur compétences au service de leur carrière ou d'une modernisation nationale. Exemple des ingénieurs et architectes chinois dans la construction des nouveaux bâtiments shanghaiens.


-Apparitions d'écrivains modernes chinois ayant été à l'étranger (Yu Dafu, Guo Moruo au Japon)


-Ouverture des salles de cinéma et importation de la culture cinématographique occidentale (essentiellement américaine)



4) D'une vision du temps cyclique à celle du temps linéaire et rapide:

- Le calendrier solaire occidentale cohabite désormais avec celui du calendrier lunaire.


-Il y a une récurrence des horloges dans les construction architecturales des villes



5) Le culte du corps et de l'apparence physique:

- Le soucis de prendre soin de son corps


-Apparition des sports d'origine occidentale




6) La "Femme moderne":

- Inspiré de la femme moderne occidentale, la femme chinoise commence à s'habiller de façon libre et élégante : talons hauts, qipao moulant, rouge à lèvre, permanente. Une façon de représenter la femme comme étant moderne , indépendante et irrésistible.


-Accès aux études à l'Université pour les filles, la femme moderne est une femme qui s'instruit. Elle intrigue les hommes de l'époque, et se mettent à la courtiser plus que les anciennes courtisanes de l'ancienne Chine.


-Par conséquent, les maisons closes ne sont plus valorisées comme à l'époque et deviennent des lieux mal-famé où la prostituée n'est pas respectée.


-Le modèle de la femme moderne mis en péril : un roman Le Fantôme de la poire e de Jade de Xu Zhenya met l'accent sur les préoccupations de la femme des années 20-30 .



7) Littérature de Shanghai et Littérature à Shanghai:

-Apport des romans, des tragédies, des comédies, des essais occidentaux, dont anglais et français du XIXème siècle pour inspirer les romanciers chinois (ZOLA a inspiré Mao Dun dans la rédaction de son roman)


-Romans pour décrire la vie à Shanghai (dont Minuit, de Mao Dun)

8) Shanghai et les Arts nouveaux:

-Industrialisation de l'art


-Influence occidentale de l'Art, dont le modèle allemand

-Exemple de Za Wouki-ki, peintre chinois qui s'expatriera en France pour se consacrer à la peinture moderne (à la fois chinoise et française)

9) Le premier âge d'or du cinéma chinois:
-Naissance des premières stars chinoises (Anna May Wong)

-Les thèmes les plus récurrent : la vie nocturne des cabarets, l'émancipation et la séduction de la femme, le rythme effréné de l'action.



Anna May Wong


CONCLUSION : 


Shanghai s'apparente un peu à notre Paris du XIXème siècle avec ses nuits animées, cette ville grouillonnante en construction dans son identité architecturale, sociale et culturelle (un peu comme Le Ventre de Paris de Zola). Le Shanghai des années 20 et 30 ne cesse de nous surprendre, et continue de fasciner les voyageurs, chercheurs et passionnés désireux de mieux connaître le Shanghai du passé pour mieux comprendre celle d'aujourd'hui. 

 
Musique 夜上海 "Les nuits shangaiennes" chantée par une célèbre Sing Song Girl des années 30



 Questions :

-En quoi l'évolution architecturale traduit un changement des mentalités des Shanghaiens et une volonté de modernisation par rapport à la Chine de Beijing?

-Pourquoi l'Occident fait-il rêver les Shanghaiens?

-Quels genres de films regardait-on dans les grandes salles de cinéma tels que 大民光 Da Mingguang ? Quel était le public visé?

-Qui compose la petite bourgeoisie bohème, littéraire et artistiques (小市民)? Essentiellement des Chinois? Et le reste de la population?

-Qu'est-ce que le mouvement de "Vie Nouvelle" orchestré par les politiciens conservateurs du Guomindang en 1934? Comment Shanghai arrivait-elle à concilier les publicités capitalistes et la propagande nationaliste en un seul et même moyen de communication : la radio?

-La jeune femme shanghaienne élégante qui achète de la soierie et portent des qipaos à la dernière mode : image de la femme chinoise moderne et donc l'allégorie d'une société chinoise qui réussit?


-Comment la culture de la consommation est-elle reprise par le gouvernement dans le but de faire de la propagande nationaliste? Ou comment un système commercial et capitaliste devient-il un moyen de prêcher le patriotisme chinois?


-En quoi l'affirmation du cosmopolitisme shanghaien est-elle une étape indispensable dans le processus de reconstruction de l'identité nationale chinois?


-Quels sont les fondements de la diffusion des "nouveaux savoirs" 新知? Pourquoi cette diffusion des nouveaux savoirs porte-t-elle l'appellation des "lumières" 启蒙 qimeng?


-En quoi le cinéma shanghaien se distingue nettement du cinéma hollywoodien?


-Comment se traduisent les inégalités sociales à Shanghai entre les classes aisées, les Xiao Shimin et classes populaires?




Source : Bergère, Histoire de Shanghai, chap. 10




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