Tuesday, February 14, 2017

新女性 New Women (1935), “Gossip is a fearful thing” (阮玲玉 Ruan Lingyu): 韋明 Wei Ming, héroïne tragique de son temps?




新女性 New Women (1935)est un film en noir et blanc parlant réalisé par 蔡楚生 Cai Chusheng, grand cinéaste des années 30 et contemporain de 孙瑜 Sun Yu.

A nouveau, nous retrouvons les talents de l'actrice 阮玲玉 Ruan Lingyu,aussi belle que tragique. Après la sortie du film 女神 The Goddess (1934)mettant en scène une femme démunie à la fois mère et prostituée, nous allons nous intéresser de plus près à 新女性 New Women (1935). L'actrice joue cette fois-ci le rôle d'une jeune femme de classe moyenne supérieure, célibataire et indépendante, ayant tout pour être heureuse, visiblement tout le contraire du film 女神 The Goddess.

A première vue, les deux films semblent n'avoir aucun point en commun, si ce n'est que l'héroïne est toujours représentée comme la femme moderne du Shanghai des années 30, libre et indépendante. Néanmoins, que celle-ci soit bourgeoise ou prostituée, cette femme moderne a le culot de vouloir s'émanciper en devenant indépendante et bien sûr, la Société va la condamner.

En quoi 女神 The Goddess et 新女性 New Women sont-elles comparables?
Quels sont les thèmes récurrents que nous retrouvons dans ces deux films?
 La Shanghaienne des années 30 : libre mais damnée par la Société?


(I)Deux films différents mais qui se ressemblent, s'assemblent.

   A)Différences

新女性 New Women raconte l'histoire d'une femme bourgeoise, 韋明 Wei Ming, professeur de musique. Jeune femme joyeuse et chic, elle semble sourire à la vie. Dans le tramway, elle rencontre son ancienne camarade 王太太 Wang Taitai,épouse d'un homme fort riche nommé Dr Wang; Wei Ming est célibataire, mais ça lui importe peu puisqu'elle est libre comme l'air; et par la même occasion elle a rencontré 余海俦 Yu Haichou, jeune homme travaillant dans une grande Maison d'édition de Shanghai, dont elle est secrètement amoureuse et qui va lui permettre de devenir une grande écrivaine en présentant son premier roman '文如其人' ,titre tiré d'un 成语 chengyu signifiant 'Le style d'écriture d'un article reflète la personnalité de l'écrivain'.
Alors que dans 女神 The Goddess, la jeune femme vivait dans un appartement modeste, on retrouve dans 新女性 le même appartement cette fois-ci plus riche en ornements et décorations, signe distinctif de sa condition de bourgeoise accomplie(le piano, le pot de fleurs fraîches 鲜花 symbole du renouveau dynamique ainsi que ses vêtements de luxe, son maquillage et sa coiffure). Wei Ming est en somme une femme belle, indépendante et intelligence susceptible de réussir dans la vie sociale.

Mais le malheur va insinueusement lui retomber dessus et grossir telle une tâche d'encre qui ne s'effacera pas. Cela commence par ses amours contrariés avec Yu Haichou, les tentatives vaines de séduction du Dr Wang (trompant sa femme)aussitôt repoussées par Wei Ming qui n'y voit que le dégoût de l'homme goujat et du mariage comme une relation esclavagisante (“结婚能够给我什么?众神的伴侣!终身的奴隶罢!”)puis sa finit par la perte de son travail à cause de celui-ci, sa fille tombant gravement malade, elle n'a d'autres choix que de finir prostituée, les ragôts sur celle-ci qui s'étalent, au point même de finir à l'hôpital et mourir d'une crise cardiaque.
 
    B) Ressemblances
Tout comme le film 女神 The Goddess, l'héroïne est une jeune femme dynamique, belle et intelligente qui se bat seule pour son émancipation et trouver sa place dans une Société sans cesse en mouvement, jamais à l'ombre d'un abri. Comme dans le film précédant, elle a un enfant qu'elle élève seule, le fruit de ses amours avec un homme lâche ou disparaissant dans l'ombre. On retrouve le même soucis financier de l'argent:  à Shanghai tout coûte cher (surtout les médicaments et frais d'hôpitaux), quand on est une femme seule avec un enfant(sujet tabou),incapable de garder son homme ou de trouver un 伴侣 'compagnon pour la vie', on est mal considérée par son entourage au risque de 丢面子 perdre la face.

Nous avons aussi affaire à une héroïne tragique, cherchant par tous les moyens à se battre même si son destin funeste semble déjà bien tracé. Après avoir perdu son emploi d'enseignante à cause sans doute d'un certain Dr Wang (une connaissance de ce dernier dira à Wei Ming “就只好您谅我一点;一切,您将来自然会明白”)arrivant par la suite pour lui proposer de l'aide et devenir sa maîtresse, Wei Ming refuse envers et contre tout de passer par la facilité et va essayer de se débrouiller seule pour obtenir de l'argent et sauver sa fille.
Comme par hasard, toutes ses tentatives semblent lui être refusées, surtout par les hommes qui voient en elle la femme/objet qu'on veut à tout prix posséder au besoin d'une bague ou d'un service sexuel (ce qu'un maquereau parviendra à obtenir en la convaincant de devenir prostituer pour sauver sa fille). Finalement l'histoire, le seul homme plus enclin à respecter les femmes est 余海俦 Yu Haichou . Après le directeur d'école dans 女神 Goddess, c'est un jeune éditeur qui vient à son chevet en lui rappelant la poupée qui ne tombe pas 不倒的女生 et sa symbolique: celle d'une femme qui continue de se relever et se battre malgré les coups (“本来,生活就是波动的,你倒下了,只要在站得起来,到最后一定会顺利”,en français “La vie n'est pas un long fleuve tranquille, une fois que tu es tombée, il te suffit de te relever, car ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort”)
Alors cette femme relève sa tête, elle veut vivre “我要活啊” mais, coup de théâtre,  elle périt misérablement sur son triste lit d'hôpital.


 (II)Caractérisques du films des années 30 : son contexte, ses thèmes, son actrice.

   A) 阮玲玉 Ruan Lingyu, portrait d'une actrice

A deux repises nous retrouvons Ruan Lingyu en tant qu'actrice principale des films de production shanghaienne. Jeune, belle et talentueuse, sa vie privée est révélatrice de son parcours professionnel et des rôles choisis. Elle devient ainsi donc la figure de proue du cinéma chinois des années 30.

Née en avril 1910, elle est issue d'une famille d'ouvriers, son père étant machiniste dans une compagnie pétrolière. La variole emporte son père en 1915, sa mère est contrainte de trouver un travail de domestique chez une riche famille, les Zhang, pour subvenir aux besoins de sa seule enfant survivante à la variole. Elle leur offre même de quoi investir dans une école de type occidentale où Ruan Lingyu recevra des cours de qualité. Les conditions de vie difficiles vont laisser des traces indélébiles dans le coeur de la jeune, bien décidée à sortir de cette vie difficile et devenir riche.

Après un mariage arrangé avec le fils héritier des Zhang en 1925, Ruan Lingyu avec sa beauté et son éducation tente une carrière dans le cinéma, elle y parvient entre 1929 et 1933. En 1934 et 1935, c'est sa consécration: elle joue les deux meilleurs films de sa vie (神女 (1934); 新女性 (1935))auxquelles elle semble s'y reconnaître.

Mais son bonheur est de courte durée. Son mari découvre qu'elle entretenait une liaison avec un amant, lui porte un procès contre elle et balance la nouvelle à la presse, les ragôts la traitant de fille facile. Les évènements sont tels que l'actrice met fin à ses jours par une overdose de médicaments juste après la sortie de 新女性 New Women, le 8 mars 1935 => soit la veille de son procès intenté par son ex-mari contre elle et contre le film fort controversé; le comble : le jour de la Journée de la Femme!

Elle laisse deux lettres: l'une adressée à la compagnie Linhua qui a prévu de projeter 新女性 New Women en hommage aux femmes, l'autre à son compagnon.
La première lettre accuse son mari et l'opinion publique d'être responsable de sa mort. Elle se conclut par les mots suivants: “Que les ragôts sont effrayants!”.
Il est à noter que cette forme d'accusation faite à la société par une femme telle que Ruan Lingyu se retrouve à deux repises dans les films 女神 et 新女性,à savoir une femme libre meurt pour ses idées et dit tout haut ce que les autres pensent tout bas.

Des dizaines de milliers de personnes émues par la nouvelle lui ont rendu hommage trois jours plus tard. Son suicide a suscité de grands débats sur la condition féminine en société et l'écrivain Lu Xun attribue la responsabilité de sa mort aux ragôts colportés par la presse.


    B) Ses thèmes récurrents
- l'angoisse des horloges, synonyme du temps qui passe. Le réalisateur Cai Chusheng mettra ses compétences de caméraman à son profil en superposant les scènes de la soirée de Wei Ming avec Dr. Wang sur le cadre d'une horloge, les aiguille évoquant la vitesse, Shanghai comme une ville sans cesse en mouvement, les personnages regardant avec empressement leur montre, signe d'un malaise que dégage inconsciemment cette ville si fascinante et captivante:  elle est en fait dangereuse.

-signe encore plus évocateur de la dangerosité de Shanghai, c'est son arrière-plan au tout début du générique: on voit en bas à droite en premier plan une jeune femme nue et éperdue exprimant un faciès d'effroi sur fond d'une ville noire de Shanghai au second plan. Son regard se porte sur la fumée des usines dont l'ensemble semble former un visage monstrueux : allégorie du Monstre Shanghai menaçant de dévorer la jeune fille? toutes interprétation et possible. Pour ma part, je pencherais sur l'hypothese d'une ville inquietante où il ne fait pas bon d'y vivre en tant que femme.

-la métaphore de la cage : au départ la cage aux oiseaux, ensuite la représentation de la femme fouettée puis prisonnière par l'Homme symbolisant le mariage comme une prison, enfin Wei Ming n'a plus aucune échappatoire entre vivre et finir prostituée ou mourir mais jetée aux ordures par la presse à scandale: Wei Ming a perdu sa liberté par la Société, remettant le lion en cage.

-la photo de Wei Ming sans cesse réutilisée (par la Maison d'édition, par Dr Wang qui la vole faute de pouvoir la violer, de la femme bafouée et enfin par la Presse): renvoit sans cesse Wei Ming à la femme objet.

  (III) 新女性 New Women: une femme et des femmes. La condition féminine chinoise dans les années 30. 

  A) La femme sera toujours inférieure à l'homme.

Cela remet en cause le rêve illusoire de la femme moderne chinoise: ok elle peut s'habiller en 旗袍 qipao, se promener librement dans les rues, fumer comme les hommes, travailler, avoir accès à l'Education, ce qui ne va pas forcément faire d'elle une femme libre.

Les deux films sous-entendent que la femme aura toujours besoin d'un homme pour la combler financièrement et s'intégrer socialement:  sans cela, elle est considérée comme asociale.

Toutes les femmes n'ont pas autant accès à. cette liberté, les inégalités restent toujours présentes.

  B) Mais ça évolue : les femmes en marche!
Un dernier point sur lequel nous pouvons nous étendre:
- 新女性 New Women, dans la traduction on lit “Nouvelles femmes”. Et si Wei Ming ne constuaient pas elle seule toutes les représentations de la femme moderne chinoise.
- plusieurs femmes dans le film montre actuellement leur nouveauté et leur indépendance:
-王太太 Wang Taitai, certes sous le joug financier de son mari, a le pouvoir d'obtenir et faire ce qu'elle veut si elle domine dans le couple (d'ailleurs situation couple:  homme riche et femme entretenue ne vous rappelle rien? L'actrice Ruan lingyu n'a-t-elle pas profité de la richesse de son mari pour tenter sa carrière d'actrice?)
-La bonne deWei Ming, un emploi d'ancienne fille de paysan voulant gagner indépendamment sa vie en ville. D'ailleurs, c'est elle qui proposera à Wei Ming de venir à une chorale chanter 新女性 => cet ode à la femme nouvelle sera reprise du début jusqu'à la fin du film.
-la marche des femmes ouvrières, domestiques et cie à la toute fin : symbole des nouvelles Chinoises en marche?


CONCLUSION:
新女性 New Women met en scène le destin de toutes les femmes chinoises vivant dans une grande ville cosmopolite telle que Shanghai. Loin des traditions sous l'ère impériale, la société capitaliste et libérale fait que la femme peut sortir progressivement du statut de la ménagère, travaillant, rapportant de l'argent à sa famille. A Shanghai, on peut même s'enrichir et devenir indépendante; mais les libertés des femmes restent encore plus ou moins tolérées par la Société, leurs mettant encore et toujours des bâtons dans les roues.

La femme moderne cherchant son indépendance reste toujours d'actualité à Shanghai. A croire qu'il faut soit tout miser sur ses études à l'Université puis s'établir pour devenir cadre supérieure ou chef d'entreprise pour une femme, soit miser sur sa jeunesse et sa beauté pour trouver l'homme riche, l'épouser ou dans le pire des cas devenir sa maîtresse 二奶 sa ernai (Cf. China Love, Dorian MALOVIC).

Pour en savoir plus:

http://www.chinesemovies.com.fr/acteurs_Ruan_Lingyu.htm

http://gbtimes.com/life/ruan-lingyu-media-killed-movie-star

https://www.google.fr/amp/s/silentsplease.wordpress.com/2015/08/10/new-women/amp/



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