Mao Dun
(Shen Dehong) occupe une place importante dans la littérature chinoise des
années 1930. Entre 1921 et 1932 Mao Dun était un des éditeurs de la revue
littéraire Xiaoshuo yuebao qui devait
faire émerger une nouvelle littérature chinoise grâce à une révolution des
pratiques. Avide lecteur et
traducteur d’œuvres occidentales telles que celles de Zola, les critiques l’ont
placé dans la filiation des grands romanciers européens, réalistes et
naturalistes, du XIXème siècle. Il a créé dans ses romans des cadres urbains pour
ses personnages, comme c’est le cas pour Minuit
qui se déroule dans le Shanghai des années 1930. Minuit est un roman qui accorde une large place aux questionnements
de nature politique, il fait s’interroger le lecteur sur la place de l’argent,
le capitalisme et l’impérialisme qui règnent dans la ville ainsi que le pouvoir
de séduction néfaste de celle-ci, peinte comme un lieu de décadence et de
corruption morale. Un extrait du début du roman l’illustre tour à fait.
Le roman s’ouvre sur l’entrée d’un
personnage, le vieux Wou, homme appartenant à un autre monde, plus rural et
conservateur, loin du Shanghai moderne. Le lecteur entre dans le roman par le
biais de cet intermédiaire qui, lui aussi, découvre un monde nouveau. Cependant,
cette compagnie sera de courte durée, l’entrée du vieux Wou étant pour lui le
début de sa fin, il meurt à peine arrivé et laisse le lecteur égaré. Ce
parcours introductif est l’occasion d’appréhender le Shanghai mis en scène par
Mao Dun, son urbanité bien présente et tournant autour d’éléments récurants et
similaires. Durant le trajet en voiture, le vieux Wu fait une expérience avant
tout sensorielle. Il est submergé par des lumières, des odeurs, des sons, des
mouvements...
La ville
est pour lui une stimulation permanente comme l’indique le narrateur : « Devant ses yeux dansaient du rouge, du
jaune, du vert, du noir, du brillant, des carrées, des cylindres, tout
s’entremêlait, tout sautait, tout tournait. Dans ses oreilles c’étaient des
bruits extraordinaires d’une telle violence que son cœur sautait au point de
lui sortir de la gorge. » (p 9). La vitesse, liée aux automobiles est
souvent mentionnée, ainsi la voiture est « une machine moderne perfectionnée qui roule à toute vitesse » (p
6) puis carrément une « machine
diabolique » (p8) qui ne fait que gagner encore de la vitesse durant
le voyage jusqu’à la maison : « L’auto
se lançait en avant comme une furie » (p 8), « l’auto filait toujours comme un bolide »
(p 11). C’est donc la voiture qui est le premier mode de transport qui nous
fait découvrir la ville. La vision obtenue y gagne encore en intensité. A
travers la vitre, le paysage urbain subit des déformations métaphoriques
révélatrices de l’esprit d’un vieil homme méfiant : les fenêtres des
gratte-ciels sont les yeux des « démons », tout comme les phares des
voitures et les réverbères se changent en des « gourdins » agressifs.
Les rues ne sont presque plus fréquentées par des hommes, les gens courent tout
d’abord « éperdus, comme s’ils
avaient le diable à leurs trousses » (p 9) puis se déshumanisent pour
que Shanghai devienne un véritable « gouffre
de diables » (p 13).
Mais quel est ce Shanghai ? De quels
lieux est-il question ? Wou Souen-fou, le fils, industriel Shanghaien, ainsi
que sa sœur et son mari sont dans deux voitures de la marque Citroën. Ils
ramènent le vieux Wou à Shanghai pour éviter les violences dans leur région
d’origine. L’itinéraire qu’ils empruntent commence sur le quai de la
rivière “Soutcheou” (p 1), ils traversent ensuite le pont
Waipaitou et tournent vers le sud. Ils arrivent au croisement de l’avenue de Nankin
et de l’avenue de Honan (p 9), puis ils tournent enfin à gauche, pour rentrer dans
une « avenue silencieuse bordée
d’arbres » (p 12) et s’arrêtent devant une « maison de trois étages, large de cinq pièces ». C’est là que
se déroule l’essentiel de l’action, des discussions entre les personnages. La
localisation est assez précise, ce n’est pas toujours le cas. Le roman se
déroule pour l’essentiel dans le Shanghai « moderne », celui de la
concession internationale, de la Chambre de commerce, de la bourse très souvent
évoquée et illustrant la frénésie et la fièvre de toute la ville, c’est le
Shanghai des banquiers (Yuanta), des
agences de crédits (Yitchang)… Les
autres références, celles du monde industriel des usines (soie, allumettes…)
sont plus floues et donc plus idéologiques que géographiques. Dans ce milieu très
aisé des riches entrepreneurs chinois, qui nous est donné à voir, l’argent
coule à flot, il alimente une réelle fièvre spéculative, fièvre qui
s’accompagne et se mélange au désir et à la séduction dont les champs lexicaux
traversent tout le roman et irriguent le rapport des personnages à leur
environnement. De cette passion Wou Souen-fou fini ruiné.
(La pagination et la transcription des noms propres sont
celles des éditions en langues étrangères, Pékin, 1962.)
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