QUI
EST LAO SHE 老舍 ?
Lao
She (老舍)
est le nom de plume de Shu Qingchun (舒庆春).
Il était né le 3 février 1899 dans une famille mandchoue, sa mère
était blanchisseuse et son père faisait partie de la garde du
palais impérial de Pékin. Ce dernier mourut le 15 août 1900
lorsque les puissances étrangères eurent assiégé Beijing durant
la révolte des Boxers. À cette période-là, les étrangers étaient
à la fois craints et méprisés comme la peste, comme en
témoignerait Lao She beaucoup plus tard : « Quand j'était
petit, ma mère ne me racontait pas de légendes sur les ogres qui
mangent les petits enfants. Pour elle, les monstres étaient les
étrangers, plus cruels et plus barbares que les ogres, avec
d'énormes mâchoires et des crocs redoutables. Et les contes pour
enfants ne sont que des contes, tandis que les histoires de ma mère
reposaient sur des faits qui avaient atteint directement toute notre
famille ». La chute de l'empire des Qing, l'apparition de la
Première République de Chine (1911-1912), la période des Seigneurs
de guerre, tous ces bouleversements allaient pousser Lao She à
écrire.
Devenu
adulte sous le nom de Sheyu (舍予),
il sortit diplômé de l'École normale de Pékin en 1918. Il avait
dirigé une école primaire, était même devenu inspecteur des
écoles, avant de prendre sa démission. Puis, il reçut des offres
d'emplois comme enseignant en Angleterre, où il enseignait le
chinois à l'École des études orientales et africaines à Londres
entre 1924 et 1929. Sa découverte des littératures européennes et
américaines lui inspirent l'envie d'écrire ses trois premiers
romans : La Philosophie de Lao Zhang 《老张的哲学》,
Zhao Ziyue 《赵子曰》ainsi
que Messieurs Ma, père et fils 《二马》où
il décrivait les préjugés et le racisme qui séparait les Chinois
des habitants de Londres. Au départ, il écrivait à la fois en
langue classique ( écriture des Chinois mandarins sous la Chine
impériale) et en chinois 'vernaculaire' (白话,
ou le parler argotique du Peuple) avec son tout premier roman. Puis
il décida d'écrire toutes ses œuvres en langue vernaculaire,
faisant un contrepied aux règles de l'écriture de la société
bourgeoise chinoise. Ses œuvres, il voulait les écrire pour le
Peuple et c'est ce en quoi Lao She devint un des rares lettrés
proche du Peuple chinois.
Au
début des années 30, il revint en Chine, se maria avec Hu Xieqing
et enseigna dans les Universités de Jinan et de Qingdao. Ce fut
alors qu'il écrivit ses plus grands romans réalistes : La
Cité des chats《猫城记》dénonçant
les vicissitudes de la société chinoise de son temps, Le
Divorce 《离婚》étant
une satire sociale, La Vie de Niu Tianci 《牛天赐》
et
surtout Le
Pousse-pousse 《骆驼祥子》racontant
l'existence d'un tireur de pousse qui s'enfonça dans la misère
après avoir tenté de réussir sa vie en ville. Dans tous les cas,
Lao She dépeignait la Chine du Peuple, celle où il était difficile
de trouver sa place dans une Société profondément fragmentée par
les révolutions idéologiques, les guerres ou la présence
étrangères, ici la Chine des années 30 était loin d'être unifié
et solide. Lao She avait cet art de traiter des sujets tabous sous le
trait de l'humour, d'une écriture simple et faisait preuve
d'empathie pour ses personnages.
Au
déclenchement de la deuxième guerre sino-japonaise, Lao She
s'engagea dans la cause patriotique. Il fut à la tête de la
Fédération des artistes et des écrivains contre l'agression
japonaise créée en 1938 à Hankou, et il publia notamment en 1949
Quatre
générations sous un même toit 《四世同堂》un
roman symbolisant la résistance chinoise. À la fin de la guerre et
sous la proclamation de la République populaire de Chine, Mao Zedong
fit de Lao She l'écrivain modèle et la littérature orale devint
dès lors l'outil de propagande pour l'instruction du Peuple. Ainsi
dans les années 50, Lao She devint un écrivain au service du régime
communiste et écrivit plusieurs pièces de théâtre sur commande.
Il resta à Beijing jusqu'à sa mort le 24 août 1966, après avoir
été victime du lynchage du parti lors de la Révolution culturelle,
sa dernière œuvre littéraire évoquant les habitants de Beijing
fut La Maison de
thé《茶馆》.
《骆驼祥子》,
PORTRAIT RÉALISTE DU BEIJING DES ANNÉES 30
(A) 骆驼祥子
Le
Pousse pousse
L'histoire se passe dans le Beijing des années vingt et trente.Xiang Zi est un jeune paysans orphelin qui rêve de mieux gagner sa vie en ville en devenant tireur de pousse. Son statut idéal : avoir son propre pousse et devenir tireur de pousse aux particuliers. C'est un brave gars plein de santé et d'idées simples qui est venu à Beijing avec la ferme conviction qu'en travaillant dur et menant une vie honnête et austère de tireur de pousse, il pourra, à force d'économies, se faire une place au soleil.
Voilà
trois années qu'il survit à la vie de Beijing, il acheté son tout
premier pousse tout neuf et se dit que le meilleur client pour fêter
sa réussite professionnel, c'est un client de la haute société et
non pas le Petit Peuple. En effet, le Beijing des années 20 et 30
est composée de deux sous-villes différentes : il reste le
côté dit « la Ville Nord » qui était l'ancien quartier
de la Cité impériale, après la chute de la dynastie des Qing le
nouveau gouvernement se trouve à la Cité interdite et les quartiers
de celles-ci sont habités par les Chinois de la haute classe ou les
étrangers français ou anglais ; en dehors des remparts de
cette « Ville du Nord », il y a la « Ville du sud »
composée de la majorité de la population chinoise (artisans,
patrons de garage, vendeurs de bétail tout confondu). Puis un
nouveau client l'interpelle, lui demande de sortir vers la porte
Ouest de la Ville (Xizhimen) pour son voyage. Xiang Zi craint cette
proposition puisque les guerres provoqués par des Seigneurs locaux
règnent à ce moment-là, et sortir de la ville est très dangereux.
Mais, ne voulant pas entacher à sa réputation de tireur de pousse
fort et courageux, il accepte de l'emmener vers cette destination.
Malheureusement, il est capturé au cours du périple par des soldats
extérieurs à la ville de Beijing et le tiennent prisonnier. Il
parvient néanmoins à s'enfuir non sans difficultés, il lui faudra
un parcours du combattant pour éviter les soldats et rentrer en
ville sain et sauf. Au passage, il emporte trois chameaux dans
l'espoir de les vendre et de s'acheter de quoi vivre.
De
retour en ville, c'est de la colère et de la frustration pour Xiang
Zi : à cause de ces soldats et de ce maudit client, il a perdu
son pousse ainsi que toutes ces anciennes économies, il est obligé
de repartir de zéro pour reconstruire tout son parcours
professionnels d'il y a trois ans. Il se retrouve à être logé chez
Patron Liu, un ancien voyou reconverti comme patron de garage pour
les pousses. Patron Liu a aussi une fille, Mademoiselle la tigresse,
nommée ainsi à cause de sa hideur faciale qu'elle tient de son père
et de son fort caractère. Tous deux tiennent le garage et
l'entreprise des tireurs de pousse d'une main de fer. Les deux
tenanciers sont fort contents d'avoir Xiang Zi comme excellent
labeur, et souhaitent à tout prix qu'il reste dans leurs services.
Or Xiang Zi cherche à tout prix à sortir de leur dépendance
financière : il travaille sans fin et économise son argent le
plus possible afin de pouvoir se ré-acheter un nouveau pousse et
redevenir indépendant. Les deux tenanciers ne vont pas le laisser
faire. Un soir, Mademoiselle la tigresse invite de force Xiang Zi à
prendre un verre de vin chez elle, et Xiang Zi , emporté par
l'ivresse, se retrouve à coucher accidentellement avec elle.
Alors
vient la marche inéluctable de Xiang Zi vers la déchéance.
Incapable de rester plus d'une semaine chez des particuliers à cause
de la mentalité de la clientèle, Xiang Zi va de maison en maison
sans pour autant obtenir un salaire plus décent. De surcroît,
Mademoiselle la tigresse le prend en grippe en lui annonçant sa
grossesse, lui sous-entendant le fait qu'il est le père du futur
bébé et qu'il va devoir assumer sa paternité. Bien qu'il eut
acheté un nouveau pousse, l'accumulation des ennuis avec les
tenanciers Liu, la rivalité avec les tireurs de pousse et les
clients vont décourager de plus en plus Xiang Zi dans sa poursuite
vers l'ascension social. C'est une sorte de chemin de croix sur
lequel notre tireur va de désillusion en désillusion, de coup dure
en coup dur qui à chaque fois le font tomber toujours plus
bas, et qui nous font comprendre - aussi incroyable que cela puisse
paraître - comment un homme "normal" à tout point de vue
peut finir écrasé et broyé par une société sans pitié, jusqu'à
devenir une loque que l'on ose même plus qualifier d'humaine.
(B) Analyse linguistique sur des passages du roman
Dans
le chapitre 2, des petites touches humoristiques sur le caractère du
personnage, sa façon de bouger, de se mouvoir dans la ville de
Beijing.
La
façon de hêler le tireur de pousse comme dans un taxi est assez
amusante, on peut étudier linguistiquement ce que cela donne sur
scène.
On
décrit le nom des rues dans les grandes villes.
Dans
le chapitre 3, la ville peut faire peur. Xiang Zi doit s'attendre à
toutes les épreuves et péripéties possibles. Il tâche de croire
en lui. Il n'est pas sûr qu'à l'époque Beijing soit allumée la
nuit, sans doute que quand il fait nuit, il fait nuit noire.
Une
de ses connaissances lui révèle qu'il n'est pas facile de gagner sa
vie à Beijing. Xiang Zi est un peu désorienté, mais il tient bon.
Dans
le chapitre 4, Xiang Zi n'a pas mangé depuis trois jours et veut
seulement boire de l'eau => révélation des conditions de vie
difficiles quand on est tireur de pousse-pousse.
“自从一到城里来,他就是“祥子”,仿佛根本没有个姓;如今,“骆驼”摆在“祥子”之上,就更没有人关心他到底姓什么了。有姓无姓,他自己也并不在乎。不过,三条牲口(bétail,
bête de somme)口才换了那么几块钱,而自己倒落了个外号,他觉得有点不搭上算。”
page
23
Déjà
le fait que l'on ne lui donne pas de nom le déshumanise, ajoutant
aussi sa piètre estime de soi. La société l'isole davantage.
Dans
le chapitre 5, tout le monde connait désormais la réputation de
Xiang Zi et tous se moque de lui , on l'appelle le "chameau"
ou bien "la chose", il n'est plus qu'un objet pour les
gens. D'autres sont cyniques en lui disant qu'il va plutôt se
procurer une voiture qu'un tireur de pousse-pousse. Tout porte à
décourager Xiang ZI.
Il
subit aussi les mauvais traitement de ses passagers et "l'insultent"
Dans
le chapitre 6, une nuit d'automne, Xiang Zi tient toujours le coup
même s'il est triste et cherche des clients.
"不上人和厂,又上哪里去呢?为免得再为这个思索(réfléchir,
méditer),他一直走向西安门大街去。人和厂的前脸是三间铺面房,当中的一间作为柜房,只许车夫们近来交账(rendre
ses comptes)或交涉(parlementer
, négocier)事情,并不准随便来回打穿堂儿,因为东间与西间是刘家父女的卧室。“
page
37
Xiang
ZI a été victime des tentatives de séduction de la tigresse.
L'écriture
de Lao She est très fluide, très compréhensible pour l'ensemble du
peuple. On le voit notamment dans le chapitre 1 de "Pousse
Pousse" : sa description précise de la ville de Beijing, les
habitudes et les traits de caractère de Xiang Zi, tout ici respire
l'humanité du personnage ainsi que le dynamisme de ce Petit Beijing
du Peuple. D'ailleurs son nom de l'époque, c'était Beiping "La
Paix du Nord".
Lao
She écrit en langue vernaculaire, c'est-à-dire en chinois dans la
langue vulgaire et qui plus est dans le roman vulgaire (白话).
On
voit aussi comment est décrite Beijing. On sent une atmosphère
rigide, inquiétante et une certaine froideur dans l'interaction avec
les habitants de Beijing. Beijing semble être une ville
inaccessible, et on le remarque notamment lorsque la ville du nord
est fermée aux yeux du Peuple par des remparts.
Presque
tout le monde est intéressé, vénal et ne regarde que leur propres
intérêts. Seul Xiang Zi semble faire preuve d'honnêteté.
(C) Les personnages et leurs relations
-Xiang Zi 祥子 , un tireur de pousse-pousse qui ne rechigne jamais à la tâche, prêts à tout pour réussir dans la vie et à prendre des risques (dont celui de quitter la campagne pour entrer en terre inconnue dans la ville). Arrivé à la ville à 18 ans, , 20 ans il travaille à Beijing, à 22 ans obtient son propre pousse à 100 yuan.
-Xiang Zi 祥子 , un tireur de pousse-pousse qui ne rechigne jamais à la tâche, prêts à tout pour réussir dans la vie et à prendre des risques (dont celui de quitter la campagne pour entrer en terre inconnue dans la ville). Arrivé à la ville à 18 ans, , 20 ans il travaille à Beijing, à 22 ans obtient son propre pousse à 100 yuan.
P.14
"Il
était en avance pour son âge . À vingt ans à peine, il était
déjà grand et fort comme un adulte, bien que ses membres n'eussent
pas encore pris leur forme définitive et que son air restât
enfantin et tant soit peu espiègle. Pour un tireur de première
classe, c'en était un! Avant d'essayer le métier, il avait réfléchi
à la manière de serrer davantage sa taille pour mettre en
valeur son buste droit et sa poitrine large comme un éventail de
fer."
Il
ne connait malheureusement pas grand monde dans la ville de Beijing,
il devra travailler dur pour économiser de l'argent et ensuite
obtenir son pousse et son indépendance en tant que tireur de pousse.
-Les
tireurs de pousse de luxe : souvent âgés d'une bonne vingtaine
d'année, ils proposent leurs services aux étrangers ou aux
habitants de la haute société, comprennent un peu le français et
l'anglais. Et inversement, les vieux tireurs de pousse ne prenant que
les gens du Petit peuple.
-Peu
de concurrence entre tireur de pousse pour les étrangers puisqu'ils
sont peu nombreux, mais bcp de concurrence dans le reste.
-Les
chanceux qui maîtrisent la langue anglaise et française =>
rapport hiérarchique à la profession de tireur de pousse
"Leur
manière de courir les distingue également des autres. La tête
légèrement baissée, le regard fixé droit devant eux, le pas bien
cadencé, ils courent en se serrant le plus près possible contre le
bord de la chaussée, avec un air de spécialiste qui ne daigne pas
se mêler aux ignorants. Ils ne portent pas de blouse comme les
autres, mais une veste blanche à manches longues et un pantalon
blanc ou noir. Le bas du pantalon, très large, est resserré à la
cheville par un ruban. Leurs chaussures de toile à bout carré ont
une semelle épaisse bien nattée. L'ensemble donne une impression de
netteté, de propreté et de distinction . Devant pareil équipage,
les utres tireurs renoncent à leur disputer les clients et même à
rivaliser de vitesse avec eux; ils les considèrent comme étrangers
à leur milieu"
Par
rapport à Shanghai, il y a très peu d'étrangers à Pékin,
quelques uns mais seulement des riches expatriés anglais ou
français.
-刘四爷
Patron
Liu le Quatrième Seigneur, 70 ans, autoritaire et roublard
P.47
"Dans
sa jeunesse, il avait été soldat. il avait tenu une maison de jeux
et de trafic d'esclaves. Il possédait toutes les qualités
nécessaires à ces métiers : force, ruse, goût des combines, cet.
Il avait "de la classe", comme on disait dans le milieu. À
l'époque des Mandchous, pour avoir enlevé des femmes et participé
à des barges, il avait subi jusqu'au bout, sans broncher, le
châtiment qui consistait à rester agenouillé sur des cordes de
fer. Son procès l'avait laissé froid; et ça c'était bien de sa
"classe"! À sa sortie de prison, on était déjà en
république. il n'était plus guère recommandé d'avoir la maille à
partir avec la police. Liou, voyant que jouer les durs n'était plus
rentable, avait donc ouvert un garage de pousses. Riche de ses
expériences passées, il était passé maître dans l'art de manier
les pauvres, et savait quand il fallait être sévère et quand on
pouvait se montrer aimable".
Xiang
ZI est logé chez Patron lui du garage Jen-Ho et paie son loyer
-虎姑娘
La
fille du patron Liu, moche et a un faciès ressemblant à un tigre
comme son père. Aussi acariâtre que ce dernier envers les tireurs
de pousse, elle garde cependant de l'affection pour Xiang Zi, et
compte même le retenir en tombant enceinte de lui
(D) Quelques repères spatio-temporel dans le récit
Carte de présentation de la ville de Beijing (chapitre 1) |
Je me suis inspirée de cette carte pour reproduire la première carte Google de la ville de Beijing dans les années 20 et 30 |
CONCLUSION
-Ce roman est un portrait de la ville de Beijing vue du point de vue d'un tireur de pousse.
-Une ville segmentée entre la ville du nord (peuplé des Chinois nobles, lettrés, bourgeois et étrangers expatriés) et la ville du sud (Peuple, majorité de la population)
-Il y a deux catégories de pousse : les tireurs de pousse indépendant et travaillant aux particuliers (les jeunes d'une vingtaine d'année, connaissant un peu l'anglais et parcourant des kilomètres de la ville) et les vieux tireurs dépendant d'une location de pousse et subordonné à un patron de garage.
-Lao She, un écrivain réaliste qui écrit ses romans en langue vernaculaire, proche du peuple.
-Xiang Zi, image du travailleur honnête gagnant avec difficulté sa vie à Beijing.
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